Changement climatique
et migration

Mobilité humaine liée
au changement climatique

Exemples

L’impact des effets négatifs du changement climatique sur la mobilité humaine est largement reconnu et fait l’objet d’un intérêt politique accru. La compréhension et l’anticipation de l’ampleur et des schémas des mouvements de populations permettent au gouvernement et aux partenaires de développement de planifier et de se préparer en conséquence. Il existe néanmoins un manque flagrant de preuves pour expliquer avec précision comment, quand et pourquoi la mobilité induite par le climat se produit, sans compter que les projections fiables liées à la migration climatique sur de larges zones sont rares. Les méthodologies existantes ne parviennent généralement pas à appréhender la complexité du problème et sont confrontées à différentes limitations.

Une des tentatives les plus récentes de combler ce manque de données vient de la Banque mondiale et de son rapport Groundswell qui met l’accent sur la migration interne et sur le changement climatique à évolution lente dans trois grandes régions (Afrique subsaharienne, Asie du Sud et Amérique latine). Ce rapport est innovant en ce qu’il introduit les impacts climatiques à évolution lente dans un modèle de répartition future de la population. Pour gérer les incertitudes liées à l’analyse de la migration jusqu’en 2050, le rapport considère trois scénarios potentiels de développement et d’évolution du climat basés sur deux trajectoires de développement (développement modéré ou développement inéquitable) et deux trajectoires climatiques (émissions faibles ou émissions importantes). Le modèle applique ensuite des données d’impact démographique, socio-économique et climatique aux cellules de la grille pour réaliser une modélisation des mouvements de populations potentiels au sein des pays. Les estimations du nombre de migrants climatiques en vertu de chacun des trois scénarios d’impact climatique sont calculées en comparant différentes répartitions de populations (qui incorporent l’impact climatique) avec des scénarios basés uniquement sur des trajectoires de développement.

Le modèle peut être personnalisé et établi à différentes échelles, et de nouveaux travaux de recherche basés sur la méthode Groundswell sont déjà en cours. Le programme mondial de la GIZ « Mobilité humaine dans le contexte du changement climatique » (PM MHCCC) aide, par exemple, la Banque mondiale à réaliser une modélisation régionale plus précise en Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’Est. D’autres travaux pourraient modifier et élargir les modèles à d’autres régions, à d’autres scénarios climatiques et à des durées plus longues, mais aussi à des niveaux plus locaux.

Au-delà de l’approche mondiale de modélisation de la migration climatique, il est tout aussi important de satisfaire aux besoins de données locales. De nombreux pays et régions ne possèdent actuellement que très peu de données et d’études sur la migration intérieure et encore moins sur la mobilité climatique. Aux Philippines, le PM MHCCC vise à acquérir des informations et des ressources sur la mobilité humaine induite par le climat, à identifier les connaissances existantes et à combler les lacunes sur ce thème, en utilisant pour cela le renforcement des capacités et la génération et le transfert de connaissances, afin d’aider les fonctionnaires nationaux et locaux à comprendre la migration liée aux risques climatiques et induite par le changement climatique à évolution lente.

Une étude qualitative est en cours pour déterminer en quoi les risques induits par le changement climatique et les événements à évolution lente affectent les perceptions, les décisions et les aspirations de migration des communautés et des foyers identifiés dans différentes provinces des Philippines. L’étude a pour but de répondre à des questions liées à la causalité et aux impacts de la migration dans les régions de destination et sur le lieu d’origine. Dans quelle mesure le changement climatique, et particulièrement les événements à évolution lente, contribuent-ils aux décisions de migration ? Quels sont les effets de la migration sur les lieux d’origine, particulièrement sur les foyers des migrants et sur leurs relations sociales et communautaires ? Les résultats de l’étude aideront les fonctionnaires et les décideurs nationaux et locaux à mieux comprendre la question complexe de la migration induite par le climat aux Philippines et à élaborer leurs politiques en conséquence.

Il est probable qu’avec la recrudescence des impacts du changement climatique, de nombreuses régions insulaires et côtières deviennent pratiquement inhabitables, par exemple, si l’élévation du niveau des mers entraîne des inondations et que les populations sont obligées d’abandonner leurs maisons et de se réinstaller ailleurs pour des raisons de sécurité et de préservation de leurs moyens de subsistance. En tant que telle, la réinstallation planifiée sera une mesure de dernier recours pour les communautés vulnérables, ce qui signifie qu’il est crucial de mettre en place de bonnes politiques de gestion de la réinstallation planifiée.

Lors de la COP24 de Katowice, le petit État insulaire des Fidji a lancé ses Directives de réinstallation planifiée (PRG) pour régir les processus de réinstallation dans le pays. Ces directives sont les premières à avoir été élaborées par un État insulaire du Pacifique. Les PRG montrent que le gouvernement fidjien s’est engagé à gérer efficacement la réinstallation liée au changement climatique dans le pays. Les Directives sont basées sur des stratégies qui visent à réduire la vulnérabilité des populations et à mettre en place une résilience communautaire. Elles fournissent des conseils à tous les acteurs impliqués dans les processus de réinstallation planifiée associés au changement et aux catastrophes climatiques dans le pays.

En 2019, Fidji a également élaboré des Directives de déplacement visant à réduire les vulnérabilités associées aux déplacements dans le contexte du changement climatique et à envisager des solutions durables pour prévenir et minimiser les facteurs de déplacement dans les communes affectées de l’île. En 2012, des membres du village de Tukuraki sur Viti Levu, la plus grande île du pays, ont été déplacés vers des communautés voisines après un glissement de terrain dans leur village. Les habitants de Tukuraki sont restés déplacés jusqu’à leur réinstallation permanente sur un nouveau site avec l’aide de l’État et d’autres acteurs. L’expérience et les enseignements tirés des communautés déplacées de Fidji, associés aux récentes constatations politiques et scientifiques, ont servi de base à la rédaction des Directives de déplacement.

Les deux jeux de directives ne sont pas des documents autonomes, mais sont alignés sur les dispositions des Plans de développement nationaux à 5 ans et à 20 ans de Fidji, du Plan national d’adaptation de Fidji, de la Politique nationale sur le changement climatique et d’autres cadres nationaux, régionaux et internationaux pertinents tels que l’Agenda 2030 pour le développement durable et les Objectifs de développement durable.

Les travaux de recherche existants sur le nexus genre-migration induite par le climat montrent que le genre influence la mobilité humaine et vice versa. Par exemple, la division du travail basée sur le genre au sein d’un foyer décidera probablement des personnes qui migreront et de celles qui resteront à la maison, ce qui conduira à des résultats différenciés selon le genre. Ces impacts sont également exacerbés par leur interaction avec d’autres facteurs socioculturels. Dans le même temps, la mobilité humaine influence tout autant la dynamique de genre en pérennisant les rôles de genre traditionnels et les inégalités existantes qu’en les remettant en cause et en les modifiant. Il est donc important de disposer d’une perspective de la migration et du changement climatique axée sur le genre pour parvenir à comprendre comment les populations qui se déplacent gèrent les différents enjeux et risques ainsi que les différentes opportunités auxquels elles sont confrontées pendant leur période de mobilité. Même si les femmes et les filles sont souvent affectées de manière disproportionnée, il est à noter que la dynamique de genre génère des opportunités et des défis pour tous les différents genres.

Le programme mondial « Mobilité humaine dans le contexte du changement climatique » (PM MHCCC) de la GIZ reconnaît qu’il est important d’appliquer une perspective de genre à la migration climatique. Elle a ainsi publié un recueil intitulé « Mobilité humaine, changement climatique et genre » qui contient des bonnes pratiques, des enseignements et des outils destinés aux professionnels du Pacifique qui travaillent au sein de gouvernements nationaux, d’organisations non gouvernementales et d’organisations régionales ou internationales pour intégrer le genre dans tous les aspects du travail politique, de la programmation et des projets portant sur la migration induite par le climat. Le recueil a été élaboré sous la forme d’un module supplémentaire de la boîte à outils « Pacific Gender & Climate Change Toolkit », mais peut également être utilisé de manière autonome.

Le document présente plusieurs études de cas provenant des États insulaires du Pacifique et associe bonnes pratiques et enseignements de l’expérience. À Kiribati, république insulaire de faible altitude, la majorité des foyers a été touchée par les impacts du climat ces dernières années : élévation du niveau des mers, intrusion d’eau salée, sécheresses, inondations, etc. Résultat, de nombreuses personnes, particulièrement provenant des îles périphériques, ont dû s’installer sur l’île de South Tawara, qui héberge environ 50 % de la population du pays. Bon nombre des habitants qui habitent toujours sur les îles périphériques, et qui sont souvent appelés « populations piégées », n’ont pas migré en raison d’un manque de ressources. L’application d’une perspective de genre à cette situation montre que les hommes sont plus susceptibles de quitter leurs communautés que les femmes. Les hommes sont souvent ceux qui décident si les femmes doivent partir ou non. Il leur est, en outre, plus facile de trouver des moyens de subsistance alternatifs notamment des emplois maritimes, très courants à Kiribati. L’accès des femmes à de telles options de mobilité professionnelle est limitée. Lorsque les hommes quittent le foyer, il revient souvent aux femmes de supporter la charge des soins et des autres responsabilités du foyer en s’efforçant de remplir les rôles traditionnels de l’homme et de la femme, notamment les rôles associés à la préparation, à la réponse et à la remise en état en cas de catastrophe. Des enseignements et des recommandations ont été tirés de cette étude de cas, notamment la nécessité d’élaborer des campagnes d’information ciblées portant sur les programmes de mobilité professionnelle disponibles pour les groupes désavantagés et la nécessité d’aider ces groupes (via des formations) à répondre aux critères d’éligibilité. Il est également important de s’assurer que des représentants masculins et féminins d’un même foyer participent aux formations à la préparation, à la réponse et à la remise en état en cas de catastrophe et qu’ils sont tous prêts à agir si un événement extrême se produit.

Au nom du BMZ, le programme mondial « Mobilité humaine dans le contexte du changement climatique » (PM MHCCC) de la GIZ s’efforce d’aider ses partenaires à gérer et à mieux comprendre les interconnexions complexes et multicausales entre le changement climatique et les différentes formes de mobilité humaine, particulièrement dans les petits atolls et états insulaires du Pacifique, des Caraïbes et des Philippines. L’approche du PM MHCCC fait notamment appel au renforcement des capacités avec des formations et des ateliers sur la migration induite par le changement climatique. La génération et le transfert des connaissances se font en étudiant les informations existantes, en identifiant les lacunes, en favorisant la recherche sur la mobilité humaine induite par le climat et en aidant à systématiser et à utiliser les connaissances existantes et générées, au sein de bases de données et de systèmes d’information. En collaboration avec des partenaires nationaux et régionaux, des organisations non gouvernementales et des universités, le PM MHCCC favorise également les échanges entre tous les acteurs concernés.

En juin 2019, une visite d’une semaine en Allemagne a permis de rassembler des délégations de parties prenantes provenant des Caraïbes, de la région Pacifique et des Philippines, qui avaient des expériences similaires de la gestion de la mobilité humaine liée au changement climatique. La réunion a favorisé l’échange de connaissances et l’apprentissage par les pairs tout en facilitant l’établissement de relations de travail. Parmi les principaux thèmes évoqués lors de la visite figuraient la migration/le déplacement/la réinstallation, la sécurité humaine, le genre et la numérisation. L’événement a également permis de créer des réseaux avec des acteurs travaillant sur le nexus changement climatique-mobilité humaine au sein de la communauté allemande et de la communauté internationale basée en Allemagne.

Après la visite, une conférence internationale (assortie d’un événement de mise en réseau) sur la mobilité humaine et le changement climatique et environnemental a eu lieu le 28 juin 2019 à Bonn. Elle était hébergée par le PM MHCCC, diligentée par le BMZ et par le projet de recherche « Dégradation de l’environnement, changement climatique et migration : analyse mondiale des travaux de recherche et des prévisions », financée par le ministère allemand de l’Environnement (BMU) et l’Office fédéral allemand de l’environnement (UBA), et mise en œuvre par adelphi et par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). La conférence a rassemblé plus de 90 participants, notamment des représentants de gouvernements, d’organisations internationales, d’universités, d’institutions de recherche et d’ONG, ainsi que des professionnels travaillant dans le secteur du changement climatique et de la mobilité humaine. Elle avait pour but d’identifier et de gérer les lacunes de connaissances liées à la mobilité humaine induite par le climat, d’établir des réseaux entre les participants de différentes régions et les experts internationaux, et de servir de base à de futurs processus d’apprentissage mutuel. Elle a donné lieu à des débats publics, à des groupes de travail (sur l’adaptation au changement climatique, la réduction des risques de catastrophes, la politique migratoire, la numérisation et les technologies de l’information), à une exposition photo et à un « marché aux idées ».